Montessori ou pas Montessori ?
J’observe que cette question reste vivante, voire polémique dans nos collectifs alternatifs tendance démocratique… Nous ne sommes pas la seule école à ouvrir le débat : plusieurs écoles Montessori évoluent ou ont évolué vers le démocratique (Villamonte en Suisse, Etre & Savoir à Paris, et bien d’autres), et des personnes formées à Montessori s’interrogent. Pourquoi ? Le constat que font les éducateurs Montessori sont les mêmes que les nôtres : des enfants ne s’intéressent pas au matériel, il faut forcer/contrôler l’enfant pour qu’il adhère ce qui est contraire aux principes fondateurs de la pédagogie, c’est le projet de l’adulte qui finit par dominer et non le projet de l’enfant, c’est une stratégie pour arriver à nos fins, etc. Or, la pédagogie Montessori appréhendée dans son sens premier reste vivante, si nous osons donner plus d’importance à l’enfant qu’au matériel didactique. Ainsi, la démarche Montessori rejoint celle de la permaculture, soit en boucle :
1. Observer ;
2. Identifier l’intelligence naturelle du vivant, ses mouvements et ses besoins émergents ;
3. Designer l’environnement pour nourrir ces besoins ;
4. Accompagner et soutenir, sans imposer ni s’imposer.
La posture : faire confiance et servir les dispositions spontanées de l’enfant qui accomplit, par lui-même, son propre développement. Et ne pas oublier que nous faisons partie de l’écosystème et ce qui est attendu de nous, adultes, parents, facilitateurs, c’est de tendre à être aussi vivants et équilibrés que ce que nous souhaitons voir émerger chez l’enfant.
Depuis le jour où j’ai rencontré la pensée de Montessori, cette conviction n’a pas changé ni pris le moindre cheveu blanc (contrairement à certaines têtes :-))
En revanche, et c’est ce qui a motivé notre passage en « démocratique » : nous nous sommes, comme beaucoup, perdus en route. C’est ce qui arrive lorsque les inquiétudes liées au programme supplantent la confiance dans les processus vivants à l’œuvre chez chacun.
Peur et confiance ne font pas bon ménage, et, comme je le dis souvent, le grand défi de notre monde actuel et de passer du paradigme de la peur à celui de la confiance.
Qu’est-ce que « faire confiance » ?
D’abord, c’est un sentiment intérieur, une reliance, une compréhension que, dans l’infinie complexité de l’univers, nous sommes « petits » et impuissants… Comprendre que ce n’est pas avec nos petits cerveaux limités et notre pensée contrôlée et contrôlante que nous allons changer le monde… Le cerveau répond à une mécanique, nombre de sages nous le rappellent. Il n’est pas l’intelligence. Il fonctionne en vase clos, dans un monde de réactions, de réflexes et de mémoires. Il est stimulé par le stress, qui stimule la pensée, qui stimule l’action. Mais quelle action ? La question qui se pose aujourd’hui est la suivante : sommes-nous capables de nous laisser guider non plus par un monde de pensées limitées et de conditionnements mais par une conscience ? C’est cette conscience à laquelle l’enfant libre obéit, non plus pour faire plaisir aux parents ni pour obtenir des gratifications ou fuir des insatisfactions, mais parce qu’il est véritablement en train de participer de tout son être aux principes vivants qu’il est venu expérimenter sur cette terre.
Concrètement, cela signifie que nous allons continuer de faire confiance aux enfants, tout en observant quels sont leurs besoins, comment les nourrir au mieux pour rencontrer leurs élans spontanés.
En 3-6, nous sommes occupés à redonner du soin et de la richesse à l’environnement. En nous mettant vraiment à la place de l’enfant, nous sommes en mesure de comprendre ce qui l’enthousiasme, ce qui fait sens pour lui. Chaque proposition doit être observée, enrichie et réadaptée jusqu’à ce qu’elle rencontre l’intérêt de l’enfant.
Idem à la Labogosphère. Avec Anne-Lise, nous allons réaménager l’espace de manière à ce que les citoyens puissent s’y connecter, s’y rendre avec l’intérêt et la discipline qu’inspire un environnement soigné et investi par un adulte omniprésent, qui devient un pilier de cet espace. Anne-Lise recevra un complément de formation, jusqu’à ce que tout ce qui se trouve dans son espace lui soit connu, dans sa logique chronologique.
Cette rigueur, c’est la fidélité au vivant
Le mot discipline ne s’oppose pas à la liberté. Bien au contraire. La permaculture est une discipline, c’est une science, qui nécessite une rigueur. Cette rigueur, c’est la fidélité au vivant. Nos infidélités provoquent des réactions. Chez les enfants, cela vient nous poser question : Pourquoi tel enfant est-il agressif ? Pourquoi tel autre casse autant d’objets ? Celui là dit qu’il s’ennuie ? Et celui-ci est souvent malade ? Untel a des problématiques relationnelles ? Chaque observation doit nous permettre d’interroger les causes de ces manifestations, car elles sont l’expression de l’intelligence. Elles nous indiquent que, dans notre système, il y a des zones d’inconfort, d’insécurité ou des repères manquants. Et, dans une école, bien sûr, nous n’avons pas la prétention de pouvoir, à nous seuls, répondre aux besoins des enfants qui nous sont confiés et sont, avant toute chose, reliés à leur famille.
Il est important de rappeler que démocratie et permaculture ne sont pas l’anarchie, l’absence, l’abandon, le renoncement, l’envahissement de certains au détriment des autres. Au contraire, elles nécessitent des repères clairs, portés par des adultes structurés, compétents, actifs, présents, consistants : « on ne tape pas, personne n’a le droit de taper », « je vois que tu as oublié de ranger ton travail, viens je t’accompagne, faisons-le ensemble », « je vois que tu es en colère, tu peux taper dans le punching-ball ou le coussin de la colère, mais tu ne peux pas jeter le matériel », « tu ne peux pas sortir un autre plateau car celui que tu viens d’utiliser n’est pas encore remis à sa place : c’est la règle »…
Notre espace-école, pour bien fonctionner, a des règles qu’il convient d’honorer pour que la liberté de chacun puisse avoir lieu. Car la véritable liberté n’est pas de faire tout ce que je veux. Regardons ce qui se passe sur notre planète avec ce que nous appelons : l’ultralibéralisme. Sous prétexte que n’importe quel entrepreneur est « légitime » pour gagner autant d’argent qu’il peut, par tous les moyens à sa disposition, nous finissons, en l’absence de règles, par épuiser les ressources, créer des famines et des guerres civiles, revendre des objets cent fois leur prix d’origine au mépris de ceux à qui en revient le mérite, détruire et provoquer des déserts. Pour moi, la liberté du vivant, c’est la loi de l’équilibre entre les différentes parties prenantes d’un écosystème. Cela nécessite des règles (des règles reliées au sens, et non des règles arbitraires) et de la rigueur.
Nous avons choisi d’aborder cette thématique avec empathie, avec toute la patience et l’affection relative à un caregiving nourrissant pour les enfants. Aussi, inutile de nous rappeler que, malgré nos belles intentions, des enfants transgressent les règles : nous le savons, et nous l’accueillons ! La liberté n’est pas un produit fini. Une ambiance de liberté comporte, à un moment M, des espaces préservés et respectés, et des zones relationnelles en travail… c’est petit à petit, mois après mois, année après année, cycles après cycles, que l’équilibre se cherche, sans jamais se trouver à 100% car nous sommes des humains, nous sommes dans le vivant, et ce qui est vivant est constamment en mouvement.
En vous remerciant pour la confiance que vous nous accordez,
Sophie Rabhi-Bouquet, 22 juin 2019