A l’heure où se délient les langues concernant une relation d’abus et de domination entre les sexes, notamment de l’homme envers la femme (mais pas que), il m’est arrivé d’être prise à partie dans cette douloureuse et actuelle mise en lumière des souffrances relationnelles. Est-il criminel de dire ma vérité, à savoir que, aujourd’hui, en tant que femme, je ne me sens pas victime ? Il fut un temps, pourtant, où j’étais moi-même engluée dans le malentendu. Un temps où j’ai cédé à des actes dont je n’avais pas envie. Un temps où j’ai joué le jeu de la séduction, du harponnage mutuel fondé sur les apparences. Un temps où je savais le pouvoir de ma coquetterie dans l’obtention de certaines faveurs, fonctions ou appréciations. J’ai joué ce jeu là, moi aussi. Mes jupes et mes arguments de l’époque étaient courts, je le reconnais. Et mes interlocuteurs, un peu bas de plancher. Bon. Le jeu, aussi contestable soit-il, s’en est tenu au jeu, dans la plupart des cas. Il y a parfois eu dérapage, pouvant s’assimiler à délit. Je pense notamment à des mains baladeuses alors que je suis comprimée dans une file d’attente devant une salle de spectacle archi-bondée. Et moi qui me fige, qui reste là, qui subit en silence, enveloppée de honte et de malaise. J’ai dix-huit ans. Je ne peux ni bouger, ni me tourner. Protester, crier, me rebeller : je m’en sens incapable. Je suis sidérée. Et la vraie question, celle qui me vient lorsque j’apprends à me connaître : pourquoi cette sidération ? Comment se fait-il que je n’arrive pas à remettre à sa juste place, en direct live et sans attendre, ce profiteur libidineux qui explore mes formes sans mon consentement ? A l’intérieur de moi, ça sent la démission. Où est mon gardien ? Mon agressivité ? Ma verticalité ? Anesthésiés, depuis trop longtemps…
Et oui, à obéir à une relation dominant-dominé, un conditionnement perpétué de génération en génération par la violence éducative ordinaire, il y a des conséquences. On devient dominé. Ou on devient dominant. Ou un peu des deux, tour à tour. On apprend à museler les ressentis et les besoins, on apprend à dealer, à séduire, à s’offrir, quoi qu’il nous en coûte. On apprend que la vie relationnelle est un marché où l’affection se négocie. Et on apprend à se taire. On apprend à se croire coupable et illégitime.
Je ne me sens plus victime depuis que j’ai compris cela. Je ne me sens plus victime depuis que j’ai choisi de cultiver la fidélité… à moi-même. Aujourd’hui je deviens bien-entendante, j’entends : mes intuitions, mes désirs, mes limites, mes oui et mes non, mes accords et mes désaccords. Et ils ne sont pas négociables.
Sortir de la violence entre les sexes, entre les races, entre les classes sociales, entre les avis divergents, entre les peuples, c’est avant tout sortir de la trahison de soi à soi, construite dans l’intimité d’une enfance où nous n’avons pas eu le choix. Aujourd’hui j’ai le choix et surtout, plus que tout, je veux être passeuse de ce choix pour les enfants dont je m’occupe. Que leur intégrité soit absolument préservée, pour que, jamais, ils n’aient à accepter l’inacceptable !